Innovation : « Les Low tech ont un rôle clé à jouer dans la transition écologique », selon l'ingénieur Corentin de Chatelperron
INTERVIEW•Pendant six ans, l’ingénieur Corentin de Chatelperron est parti à la rencontre de ceux qui, à travers le monde, réinventent leur quotidien en imaginant des technologies low tech. A la fois utiles, accessibles, durablesFabrice Pouliquen
L'essentiel
- Pendant six ans, le Breton Corentin de Chatelperron et ses équipiers ont sillonné les mers dans l’idée de dénicher, documenter et partager les low tech qui répondent à des problématiques du quotidien. De l’accès à l’eau au traitement des déchets.
- Ces technologies sortent de l’imaginaire d’inventeurs qui imaginent des solutions utiles, peu chères, nécessitant peu de compétences et plus durables.
- Le Nomade des mers boucle son tour du monde à Concarneau avec, ramené dans ses cales, 150 low tech, souvent dénichées dans les pays en développement, là où l’ingéniosité décuplée par le manque de moyens. Reste maintenant à les faire connaître.
Un frigo sans électricité, un four solaire, une petite éolienne à partir de moteurs d’imprimantes, un pyrolyseur de plastique pour faire du carburant… Autant d’exemples de low-tech, « ces technologies et savoir faire à la fois utiles, accessibles et durables », définit Corentin de Chatelperron. Pendant six ans, le Breton et ses équipiers ont sillonné le monde, sur le catamaran le Nomade des mers, à la rencontre de ceux qui réinventaient leur quotidien à coups de low-tech.
Un périple qui a comporté de nombreuses escales dans les pays en développement, là où les contraintes décuplent l’ingéniosité. Mais pas seulement. « Il y a des low tech partout, elles intéressent de plus en plus de monde et c’est tant mieux », assure Corentin de Chatelperron. Juste avant de boucler ce tour du monde, samedi à Concarneau (Finistère), qui accueillera pour l’occasion un festival dédié au Low Tech, du 25 juin au 3 juillet, il répond à 20 Minutes.
Comment peut-on définir les low tech ?
Ce sont des technologies qui répondent à des problématiques du quotidien. L’accès à l’eau, l’énergie, l’alimentation, la gestion des déchets, l’hygiène et la santé, les matériaux de construction… Ces low tech ne doivent pas seulement être utiles, mais accessibles, c’est-à-dire développables partout dans le monde, sans nécessité des moyens importants, ni des compétences très pointues. Et si elles ne peuvent pas toujours être fabriquées 100 % localement, il faut au moins qu’elles soient réparables et qu’un entrepreneur local puisse se les approprier facilement. Enfin, il faut aussi que ces technologies soient durables, à la fois respectueux des gens et de la planète.
Qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser aux low tech ?
Je suis parti travailler sur un chantier naval au Bangladesh. Nous faisions des bateaux de pêche en fibre de verre, un matériau très courant dans ce domaine. Très vite, j’ai essayé de voir de quelles manières on pourrait utiliser la fibre de jute, présente localement, pour construire ces bateaux. J’ai monté un labo de recherche et nous sommes parvenus à mettre à l’eau un bateau 100 % en fibre de jute en 2013. Puis nous avons travaillé à transférer ce savoir-faire à d’autres pour qu’il puisse être repris localement. C’était déjà une première expérience de low-tech. Mais surtout, en vivant dans ce pays parmi les plus pauvres, j’ai pu observer à quel point les Bengalais pouvaient se montrer ingénieux pour contourner leurs moyens limités et inventer des low tech. Faut-il encore les diffuser. C’est tout le problème. Les stratégies marketing sont très développées pour les high-tech, mais quasi inexistantes sur les low-tech.
D’où ce tour du monde à la voile de six années ?
La première étape a été de racheter, en 2015, le Nomade des mers, un catamaran d’un peu moins de quatorze mètres de long pour 7,50 m de large que nous avons entièrement transformé en 2015. Nous en avons fait un laboratoire flottant de low tech avec l’idée de les éprouver dans un tour du monde à la voile et d’en ajouter des nouvelles, au gré de nos escales dans 25 pays. Une quinzaine de marins se sont relayés dans cette aventure qui a commencé en 2016. Elle devait durer trois ans, ce fut le double. Nous avons rajouté des escales, construit de nombreux prototypes de low tech, réalisé des documentaires pour Arte… Tout ça a pris plus de temps que prévu.
Quelles low tech trouve-t-on à bord du Nomade des mers ?
Nous avons répertorié plus de 150 low tech en six ans. En accord avec leurs propriétaires, nous les avons étudiées, réalisé des tutoriels, construit des prototypes que nous avons testés à bord. Actuellement, le Nomade des mers en compte 25 environ. L’une d’elles est un système d’hydroponie qui permet de faire pousser des plantes avec très peu d’eau – dix fois moins qu’un système classique- et, surtout, sans bonnes terres. Typiquement en ville, sur des zones polluées, ou sur un bateau. Nous avons ainsi 4m2 de cultures à bord du Nomade des mers sur lesquels nous faisons pousser des « légumes feuilles », c’est-à-dire consommables entièrement. Toujours dans l’alimentation, nous avons un grand bidon rempli de spiruline, une micro-algue comestible, source de protéines, de fer, de vitamines. Elle a surtout cette capacité intéressante à croître très rapidement en prenant peu de place. Tous les jours, on peut en récupérer un peu, la filtrer et la manger. Nous élevons aussi des larves de mouches soldats noires qu’on nourrit avec nos déchets organiques. Elles servent ensuite de nourriture à nos grillons, un deuxième élevage sur notre bateau qui nous apporte de la protéine animale en demandant très peu de ressources. On cultive aussi des champignons que l’on fait pousser sur des copeaux de bois, comme nous l’avons vu en Thaïlande. C’est une autre source de nourriture mais la partie racinaire – le mycellium- peut aussi servir de matériau de construction.
Et sur les volets énergie ?
Nous avons des petites éoliennes que nous avons construites au Sénégal, à partir de moteurs d’imprimantes. Ces derniers sont très robustes et peuvent encore servir même lorsque l’imprimante est jugée hors d’usage. Certes, la puissance de ces éoliennes n’est pas grande, mais suffit pour recharger nos appareils électriques. Nous avons aussi beaucoup utilisé un pédalier multifonction qui nous permettait de recharger nos lampes et d’autres appareils électriques. Nous cuisinons sinon avec des fours solaires [qui transforment la lumière en chaleur pour cuire les aliments], très efficaces, certains montants à 200°. On peut aussi parler de la pyrolyse du plastique, une technique que nous avons testé au Sri Lanka et qui consiste à chauffer le plastique pour le transformer en essence.
Avez-vous découvert beaucoup plus de low tech que vous le pensiez ?
Oui. Nous nous sommes rapidement rendus compte que le low tech est avant tout une démarche. Chaque objet du quotidien peut être retravaillé pour le rendre plus durable, plus réparable, plus accessible. Cela a élargi considérablement notre champ d’investigation. A Cuba, nous avons par exemple découvert des initiatives pour faire des réseaux internet locaux, plus écologiques. Les pays en développement se montrent bien souvent les plus ingénieux en matière de low tech, parfois parce qu’ils n’avaient d’autres choix que de l’être. Tout de même, nous avons trouvé des low tech partout où nous sommes allés. Y compris à New York où nous avons visité des cultures de spiruline, de champignons ou des systèmes d’hydroponie sur le toit des buildings…
Et en France ?
On en trouve bien sûr. Avec le Low Tech lab, notre association, nous avons lancé un tour de France des low tech qui nous a permis d’en recenser douze adaptées à la vie occidentale et qui permettrait de rendre nos habitats moins énergivores et plus durables. Nous les avons testées dans une tiny house*. Ce tour de France n’a pas permis d’être exhaustif. Les low tech sont de toute façon en perpétuelle évolution. Même des technologies que nous avons documentées il y a six ans ont été optimisées depuis. C’est le cas, par exemple, de la pyrolyse de plastique pour faire du carburant, procédé sur lequel travaillent aujourd’hui Plastic Odyssey et Earthwake, deux projets français. Ce qui est certain est que les low tech intéressent de plus en plus. Les médias en parlent, des entreprises se lancent, des écoles créent des formations. Même des territoires, comme la région Bretagne, inscrivent la démarche low tech dans leur stratégie de développement.
Pourquoi faut-il se pencher sur les low tech ?
Elles ont un rôle-clé à jouer dans la transition écologique. De nombreuses low tech sont déjà au point et ne demandent aujourd’hui qu’être partagées, reprises, améliorées. Plusieurs ont le potentiel de changer notre quotidien. Mais, encore une fois, chaque objet de notre quotidien, même high tech, peut être retravaillé de manière à le rendre plus utile, plus accessible et plus durable. Or, dans de nombreux domaines, ce travail a été peu fait encore. Nous avons trouvé assez peu de low-tech dans l’hygiène, la santé, les matériaux de construction… Autrement dit, il y a encore fort à faire sur les low tech.
Quelle va être la suite de ce tour du monde ?
En créant Low Tech Lab, l’idée était de documenter et partager les technologies et savoir-faire low tech que nous découvrions au fil de notre tour du monde ou de notre tour de France. Le tout est mis gratuitement et en open source sur la plateforme collaborative wiki.lowtechlab.org. Quiconque peut s’inspirer de ces tutoriels pour revisiter ces technologies, construire des prototypes, lancer même des entreprises… Cette encyclopédie compte à ce jour 53 tutoriels. Ce recensement va évidemment continuer, mais nous ne sommes plus les seuls à faire ce travail. Une trentaine de low tech lab ont vu le jour, en France, mais aussi au Cameroun, en Grèce, en Belgique, en Suisse. Ils vont regarder ce qui se passe dans leur région. Par ailleurs, nous avons mis en place un programme, le Low tech Explorer, qui aide des jeunes à partir en voyage, près de chez eux ou à l’autre bout du monde, pour développer des low tech ou en dénicher des nouvelles. C’est ce travail de coordination qui va nous occuper essentiellement désormais à Concarneau. Mais un autre projet est déjà en réflexion : celui de passer quatre mois en quasi-autonomie, dans une base de vie lowtech, dans le désert mexicain. Cela devrait commencer l’hiver prochain.